Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, l’homme aux cheveux grisonnants est le promoteur de l’école maternelle et primaire « les petits Louh » de Foumban. Cette école est un véritable haut lieu de l’éducation dans la région de l’ouest. Depuis les cinq dernières années, elle remporte systématiquement le prix de la meilleure école régionale. Installée sur une colline verdoyante à l’entrée de la ville de Foumban, dans le département du Noun, l’école « les petits Louh » est dirigée par l’épouse du fondateur, Mme Louh, originaire de la Hollande.
A la faveur de la création de la commission de promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, nous avons fait le déplacement de la Cité des arts où cet enseignant hors pair, notable Bamoun nous a ouvert ses portes pour un entretien à bâtons rompus.
Afriknouvelles.info : Monsieur Louh Amadou, vous avez suivi comme tous les camerounais la création de la commission pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme. Quelle réflexion vous a-t-elle inspirée ?
Nji Louh Amadou : Permettez-moi de commencer par vous remercier d’être venus à Foumban pour me rencontrer et de saluer par la même occasion la qualité de votre travail pour la promotion d’une information de proximité. Pour répondre à votre question; je dirais que la création de cette commission se passe dans un contexte particulier, celui de la crise dite anglophone. Alors est-ce une des solutions pour résoudre cette crise, c'est la question qu’on est en droit de se poser. Maintenant il faut savoir d’où vient ce problème anglophone au Cameroun et la réponse à cette question devrait nous permettre d’y voir plus clair.
Afriknouvelles.info : Vous avez sans doute une réponse non ?
Nji Louh Amadou : Depuis bientôt six mois, le problème anglophone est à la une de tous les médias. J’ai donc pu lire, écouter et voir plusieurs acteurs s’exprimer sur le sujet avec plus ou moins de pertinence en fonction de leur appartenance politique. Pour ma part, il me semble que le problème d’une part n’a pas été bien posé, et d’autre part des réponses adéquates n’ont pas été données. Pour faire simple, il me souvient que tout naît des revendications corporatistes des avocats d’expression anglaise et des enseignants. Ces corps de métiers faisaient des revendications liées à l’exercice de leurs professions et malheureusement des solutions en demi-teinte ont été apportées. Lorsque par exemple les responsables en charge de l’éducation nationale ont préconisé l’organisation des états généraux de l’éducation dans une date projetée dans un futur incertain à des revendications qui nécessitaient des réponses immédiates, vous voyez qu’il y a là une certaine fuite en avant qui a formé le lit de la gangrène des revendications. Dès les certains politiciens sont entrés dans la danse et se sont mis à réveiller de vieux démons, ceux du fédéralisme et de la sécession. Je reste convaincu que si des réponses immédiates avaient été apportées aux problèmes posés par les avocats et les enseignants, on ne serait pas arrivé à cette cristallisation, à cette escalade du repli identitaire qui plonge le Cameroun dans un cycle de violences inadmissibles.
Nji Louh Amadou: « Il fallait trouver une solution immédiate à la crise des enseignants… »
Afriknouvelles.info : Vous êtes un membre actif du RDPC dans le Noun et c’est votre parti qui est aux affaires. Pourtant on a vu le Premier ministre aller plusieurs fois dans le Nord-ouest pour ramener le calme sans succès. Etes-vous d’accord avec ceux qui disent que l’élite du RDPC a échoué car elle n’est plus en phase avec la base à laquelle elle n’arrive pas à faire adhérer à ses thèses ?
Nji Louh Amadou : Vous allez vite en besogne. Oui je suis membre du RDPC et je reste convaincu que le Président Paul Biya suit avec attention ce problème, d’où la multiplication des missions des membres du gouvernement dans ces régions en crise. Mais sachez que dans les conflits sociaux, il n’y a pas de gagnant au sens d’un match de football où quand vous avez perdu une finale, vous ne montez pas sur le podium. Ici, il s’agit d’un conflit de société, avec en toile de fond un débat d’idée. Il s’agit davantage de la recherche d’un mieux-être pour un vivre ensemble accepté par tous. Ce sont donc des conventions sociales au sens politique du terme. Dans quel type de société voulons-nous vivre ? Telle est la question posée. Personne n’a donc échoué et encore moins le RDPC. Si le Président Paul Biya ne voulait pas que le problème soit résolu, il n’enverrait pas des émissaires plusieurs fois. Donc il prouve qu’il reste à l’écoute de ses compatriotes du Nord-ouest et du sud-ouest, mais surtout il recherche des solutions consensuelles au lieu d’imposer des solutions depuis le palais de l’unité.
Afriknouvelles.info : Revenons si vous le voulez bien aux problèmes posés par les enseignants anglophones. Vous êtes vous-mêmes enseignant de formation, ancien proviseur du Lycée de Foumban et aujourd’hui promoteur d’un établissement scolaire d’enseignement primaire et maternel. Il y a-t-il des pistes de solutions à ces problèmes notamment dans l’amélioration des conditions de travail ?
Nji Louh Amadou : Le problème de la qualité des conditions d’exercice de la profession d’enseignant se pose avec acuité depuis quelques décennies sous nos cieux. Je ne veux pas évoquer ici les difficultés que j’ai moi-même rencontrées lorsque je j’étais proviseur au Lycée ici à Foumban. Je voudrais simplement vous rappeler qu’avec la dévaluation du Franc CFA au début des années quatre-vingt-dix, les salaires des fonctionnaires ont été revus à la baisse et ceux des enseignants n’ont pas échappé à cette chute drastique. Depuis deux décennies, il y a eu comme une désorganisation machiavélique du corps des enseignants et seuls les téméraires sont restés dans le secteur. Pourtant dans le même temps on a multiplié les établissements d’enseignement tant maternel, primaires que secondaires et universitaires, avec un secteur privé qui a connu un boom non maîtrisé par les pouvoirs publics. Pour ne rien arranger, la gangrène de la corruption qui sévit dans tous les secteurs s’en est prise à l’éducation et s’y est enraciné. Voilà le diagnostic qu’il faut établir pour comprendre que ce problème n’est pas politique mais sociétal. Vous avez des établissements publics construits par des élites dans des sites à problèmes, car pour des raisons électoralistes ces élites promettent des lycées jusque dans les plus petits villages sans tenir compte des réalités et surtout des contraintes pédagogiques. Un établissement scolaire ce ne sont pas seulement des salles de classe ; il faut des enseignants qualifiés, disponibles, qui font des remises à niveau en continu et un cahier des charges à respecter scrupuleusement par l’administration scolaire. Là je n’ai parlé que la partie visible de l’iceberg… (Rires)
Les élèves de l’école les petits Louh , la main sur le cœur, dans la discipline
Afriknouvelles.info : Vous faites bien de revisiter ces problèmes qui à vous entendre n’ont toujours pas trouvé de solution et malheureusement l’école n’a toujours pas repris de Bamenda à Buea, avec des villes mortes qui perdurent…
Nji Louh Amadou : Ne me faîtes pas rire, je vous ai dit tantôt que des solutions immédiates devaient être trouvées pour stopper les revendications corporatistes des enseignants et des avocats. En l’absence de ces réponses, ce sont les politiciens qui sont montés au créneau et contrôlent désormais la situation. Les villes mortes n’ont pas été imposées par les avocats et les enseignants à ma connaissance. Donc vous comprenez qu’aujourd’hui nous avons un dossier politique entre les mains. Les enseignants sont quelque part pris entre le marteau et l’enclume, ce qui est loin des solutions qu’ils attendaient.
Notable toujours proche du Roi Ibrahim Mbombo Njoya
Afriknouvelles.info : Nous revenons à la commission Musongué, du nom de son président pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme. Vous êtes vous-même de confession religieuse musulmane, marié à une hollandaise chrétienne et père d’enfants métis nerlandophone. Vous vous exprimez naturellement dans la langue Bamoun et vous êtes un exemple de la réussite entrepreneuriale. Dans votre établissement scolaire, vous n’hésitez pas à appliquer le modèle occidental de gestion et de formation, avec certaines de vos enseignantes qui bénéficient de bourses de formation spéciales… Vous pensez que la commission Musongué pourra véritablement impacter sur la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme ?
Nji Louh Amadou : Je ne lis pas dans les boules de cristal pour préjuger de ce que cette commission pourra ou pas faire. Je constate par ailleurs que vous vous êtes bien renseigné sur ma personne avant de venir à Foumban. Eh bien je suis sensiblement tout ce que vous venez de dépeindre. Je suis profondément attaché à la promotion de la femme. Vous le constatez avec mon épouse qui est la directrice de l’école des Petits Louh. Je suis un fidèle musulman qui vit en harmonie avec mon épouse chrétienne. Nos enfants sont des métis effectivement, camerounais et hollandais, qui nous apportent toutes les satisfactions par leurs résultats scolaires. Je suis implanté à Foumban, dans ma région natale où je contribue à mon niveau à l’éducation de la jeunesse et je n’hésite pas à implémenter les méthodologies qui ont fait leurs preuves dans le monde. Au final, je suis de ceux qui pensent que dans l’éducation, l’apprentissage d’une langue ou d’une autre matière ne se décrète pas. Il se pratique. Lorsque vous parlez du bilinguisme à promouvoir, il me semble simplement que l’apprentissage des deux langues nationales devait s’imposer dès l’école primaire sur l’ensemble du territoire national. Oui, il s’agit de ne plus laisser une des deux langues au choix, et cette approche si mes souvenirs sont bons, avait été évoquée lors de la conférence de Foumban. Malheureusement, elle n’a jamais été mise en application.
Avec son épouse, il présente le Prix de la meilleure école de la région de l’ouest reçu des mains du Gouverneur à Bafoussam
Afriknouvelles.info : Pour sortir de cet entretien nous aimerions savoir si un autre sujet d’intérêt général a retenu votre attention ?
Nji Louh Amadou : AHAHAAH, je ne m’attendais pas à celle-là, mais voyons voir… (Un instant de réflexion). AH oui, il y a la campagne pour les élections présidentielles françaises que je suis avec un certain intérêt car nous connaissons tous les relations qui lient notre pays à la France. Pour dire que j’observe que chez eux aussi il y a des velléités de séparatisme avec la crise en Guyane. Une situation inattendue dans cette campagne et les candidats démontrent à suffisance que ces territoires ne font pas partie de leur préoccupation. A l’analyse, les politiciens sont davantage concentrés sur les problèmes de la métropole et quand on fait une extrapolation dans notre pays, on constate que nos politiciens s’arc boutent sur la centralisation. Il y a donc bel et bien quelque part des conflits sociétaux car il faut une meilleure redistribution des fruits de la croissance, une réelle amélioration des conditions de vie des populations, une plus grande prise en compte des équilibres entre la croissance de la population et l’emploi des jeunes… Voilà des sujets dont on pourra parler en temps opportun, lors de votre prochaine visite à Foumban que j’espère, pas lointaine.
Entretien réalisé à Foumban par Pierre Pochangou