Faure Gnassimbé Eyadema au Togo, Ali Bongo au Gabon, Joseph Kabila en République Démocratique du Congo, pour ne citer que ceux-là ont succédé à leurs pères à la présidence de la république de leurs pays. Dans ces états qui brandissent l’étendard de la démocratie, chacun par un subterfuge a réussi à s’arc bouter au pouvoir au lendemain du décès de leurs géniteurs. Quel que soit le bout par lequel on analyse ce mode de transition démocratique, on aboutit à la conclusion que les règles du jeu telles que prescrites par les constitutions ne sont pas respectées.
Les constitutions instrumentalisées
Au lendemain de la chute du mur de Berlin l’Afrique s’est rangée au multipartisme. De nouvelles règles du jeu étaient consignées dans les constitutions, dont les principales étaient le souci de voir des élections libres et transparentes, des transitions sans violences et la limitation des mandats présidentiels. Une vingtaine d’années plus tard on peut observer que ces règles d’or ne sont pas respectées dans une grande majorité de pays du continent africain. Ainsi, plusieurs chefs d’états ont prolongé leur mandat en révisant systématiquement les constitutions. Finie la limitation des mandats ! D’autres ont choisi de prendre le pouvoir par la force, sans attendre la fin du mandat de leur prédécesseur, à l’exception du Burkina Faso de Blaise Compaoré qui a été chassé du pouvoir par le peuple. Il faut relever qu’il y a eu malgré tout un coup d’état fomenté par un de ses proches pour un retour du clan Compaoré aux affaires, même comme il ne fera pas long feu.
Pour une autre majorité de pays, les élections manquent cruellement de transparence, notamment sur le point des inscriptions sur les listes électorales, mais aussi sur celui relatif aux votes multiples car les partis d’opposition n’ont pas les moyens de surveiller les votes dans certaines régions périphériques qui de facto se verront dotées d’un très grand nombre d’électeurs. Les campagnes électorales sont menées tambour battant par les partis au pouvoir qui usent et abusent des finances publiques, ainsi que des biens matériels et humains de l’état. A ceci il faut ajouter que le chantage sur des nominations ou des recrutements dans des entreprises d’état est exercé sur les jeunes. Ce cliché est valable de l’est à l’ouest et du nord au sud du continent africain. La démocratie vue sous le prisme occidental ne parvient donc pas à s’imposer en Afrique.
De père en fils
Le Gabon du regretté Omar Bongo a traversé sans grand chamboulement le premier passage du témoin à son fils Ali Bongo. De nombreux reportages diffusés dans les médias internationaux ont permis de comprendre que le père avait confié son fils à ses amis « faiseurs de Rois », notamment au président de la république française d’alors. Ces derniers ont donc respecté les dernières volontés de leur confrère, et le fils au bout d’un mandat s’est émancipé de cette tutelle pour assurer son propre destin politique.
Au Togo, le jeune président Faure fils du tout puisant Gniasimbé Eyadema s’est installé aux commandes du pays après un bras de fer avec le fils héritier du regretté président Gilchrist Olympio. Oui, la guerre des successeurs a tourné en faveur de Faure qui tenait les manettes du pouvoir. Les politiciens au Togo sont tenus en laisse par un système d’inquisition sournoise, avec des promotions pour les plus courtisans et les perspectives de voir la constitution respectée s’éloignent chaque jour.
La république Démocratique du Congo est le champ d’expérimentation du « passage forcé » démocratique. Ainsi, alors que son mandat est désormais consommé et qu’il ne peut plus se représenter aux élections, le président Kabila a réussi le tour de force d’impliquer l’église et son clergé pour s’imposer au peuple pour deux années supplémentaires. Il n’a plus de mandat populaire, mais il tient à rester aux affaires en suscitant des conflits inter ethniques, afin que le climat d’insécurité justifie sa présence au palais présidentiel. Dans la mémoire collective congolaise, les relents de la guerre du Katanga restent vifs et ceux qui ont connu cette époque ne veulent pour rien au monde sacrifier ce beau pays.
En Guinée Equatoriale, le fils du président Obiang Nguema officie désormais comme un quasi successeur constitutionnel. En dépit de ses multiples prises de bec avec les juridictions européennes, son président de père réussi toujours à l’aider à se tirer d’affaires. Dans les coulisses du pouvoir Equato-guinéen, Théodorin joue des rôles multiples et s’impose de plus en plus aux yeux du système comme le seul capable de prendre les rênes du pouvoir après son père. L’histoire fera le reste.
Wade et Kadhafi, comme papa ?
Au Sénégal, l’affaire Karim Wade a défrayé la chronique. Le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade a eu des démêlées avec la justice de son pays qui l’ont conduit en prison après sa condamnation pour corruption et détournement de fonds publics, avant de retrouver récemment sa liberté. Pour ne pas se soustraire à la tradition familiale d’entrer en politique, Karim est désormais le chef de file du parti de son père. Il sera sans doute candidat aux prochaines élections présidentielles. Mais de là à se retrouver au poste qu’occupait son père, il y a encore quelques années d’imprégnation qu’il devra subir.
Le leader de la Jamariha Lybienne ne pouvait pas imaginer dans quel chaos son pays serait après sa mort brutale. Sa famille a été pourchassée, violentée, emprisonnée. Les chefs d’états africains qui pourtant avaient bénéficié de ses bienfaits n’ont pas levé le petit pouce pour dénoncer cette implication de la France dans les affaires internes de la Lybie. Aujourd’hui l’un de ses fils emprisonné a été libéré et ses partisans retrouvent des raisons d’espérer. Dans tous les esprits, le fils de Kadhafi devrait reprendre le flambeau de son père pour que la paix reprenne droit de cité. Là aussi quelques années d’imprégnation s’avèrent nécessaires…
Au-delà de l’Afrique
Il n’y a heureusement pas qu’en Afrique que le pouvoir se transmet démocratiquement entre membres d’une même famille. En Amérique la famille Kennedy a marqué l’histoire de la présidence de la république, tout comme celle des Bush. De père en fils on a été porté à cette haute destinée pour diriger l’un des états les plus puissants du monde. Tout récemment lors des dernières élections présidentielles, il s’en est fallu de peu pour que l’épouse de l’ancien Président Bill Clinton, s’installe dans le bureau ovale. La candidate démocrate se verra supplanter à la surprise générale par le milliardaire Donald Trump qui inaugure un nouveau cycle, celui des candidats anti système qui fait son bonhomme de chemin dans les démocraties occidentales.
Au Canada, l’arrivée au pouvoir du fils d’un ancien premier ministre à la même fonction, quelques années après son père a aussi défrayé la chronique. Le fils Trudeau a davantage bénéficié de la bonne image laissée par son père à ce poste de premier ministre, pour remporter la confiance des électeurs. Les observateurs s’accordent sur le fait que le nouveau premier ministre présente des états de service favorables, avec autour de lui une équipe gouvernementale compétente, avec en toile de fonds un véritable souci de l’intérêt général. On est loin des abus en tout genre récurrents chez les « fils à papa ».
A ce tableau des transitions familiales des pouvoirs, l’Europe ne s’accommode pas. Ici les appareils des partis politiques sont actifs et chaque courant s’efforce de s’affirmer, en occultant les liens de sang. Certes il y a quelques fils ou filles de, qui se retrouvent à la tête de tel ou tel mouvement, notamment le cas de Marine Lepen en France qui a repris le flambeau de son père à la tête du Front National, mais ceci reste marginal, d’autant plus que l’un et l’autre n’ont pas encore exercé la fonction présidentielle.
Dans les continents sud-américain et asiatique, la démocratie s’installe progressivement, tandis que dans le Moyen-Orient une grande place est accordée aux successions familiales.
La cartographie sommaire des successions-transitions démocratiques dans le monde nous rappelle qu’il existe deux grandes catégories d’êtres humains. Ceux qui veulent gouverner à tout prix et ceux qui acceptent d’être gouvernés. Entre ces deux visions se trouve l’urgence de donner un sens à la vie de l’homme sur la planète terre, à l’heure du village planétaire.
Pierre Pochangou