Pas un week-end sans obsèques, telle pourrait être la devise de ce lieu situé en contre-bas du pont, au quartier Elig-Edzoa dans la ville de Yaoundé. Ici on fabrique des cercueils à la chaîne, une véritable unité de production à ciel ouvert. Des jeunes apprentis aux maîtres menuisiers, chacun rabote, ponde, tisse, cloue, vernis, habille avec entrain, pour gagner fièrement sa pitance. Descente dans un marécage où l’on trouve sa vie autour de la mort…
Lorsqu’on passe sur la route principale en amont, c’est à peine si l’on jette un regard désintéressé sur ces cercueils exposés dans la cour principale de cet espace dédié à la fabrication de ces dernières demeurent. Il y en a de toutes les formes, avec des décorations diverses. L’arrivée d’un étranger dans cet espace attire tout de suite les « commerciaux », qui vous proposent d’emblée leurs produits. Ils vont se raviser lorsqu’ils comprennent l’objet de notre visite et nous dirigent vers le »patron », Martin Nyomayimkil. Du haut de son mètre quatre-vingt -cinq, l’homme n’hésite pas à sacrifier aux vertus du dialogue et explique : « Lorsque j’entrais dans le métier de menuisier dans les années soixante-dix, il n’y avait pas de pompes funèbres tenue par les camerounais. C’est Monsieur Noussi qui avait vite fait la différence avec son unité de production de pompes funèbres au quartier Nkolndongo. Je me suis installé ici il y a une vingtaine d’années avec des collègues et au fil des ans nous nous améliorons. Notre stratégie est basée sur la formation des jeunes apprentis, qui très rapidement gagnent leur vie honnêtement. Nous leur apprenons un métier et ils sortent de la misère. »
Monsieur Nyom A Yomkil Martin
La visite peut commencer par les services de base, qui se déclinent en l’achat de la matière première, le bois. Selon les explications, le bois est acheté sur place dans les différents parcs à bois de la ville aux sept collines. Il est ensuite amené à la machine, dans une menuiserie pour y être découpé selon les formes voulues. Les planches rabotées sont alors assemblées selon le modèle défini. Ce travail dure en moyenne une semaine en fonction des finitions choisies par le client.
Le jeune Bibéhé qui s’active à raboter une planche nous confie « La fabrication d’un cercueil répond à des normes précises, il y a notamment les dimensions qui sont fonction du modèle choisi. La profondeur est différente lorsqu’on fabrique un « aquarium » ou un « tissé ». Les prix sont aussi fonction de la difficulté du travail effectué ». Mais comment se retrouvent-ils dans ce fourmillement de personnes, où chacun semble marcher sur les pieds de l’autre ? Une question qui trouve sa réponse dans les propos de Nacor, jeune camerounais originaire de l’extrême nord Cameroun :
Nacor, marié et père de famille grâce à son nouveau métier
« Nous travaillons sous la responsabilité de nos patrons. Ici ils sont cinq propriétaires d’entreprises de pompes funèbres et chacun d’eux a ses employés. Certains métiers comme le tissage des lianes de bambou pour fabriquer les cercueils « Africains » se paient à la tâche, ce qui facilite les relations entre employés et employeurs. La majorité des jeunes ici sont d’abord apprentis, issus de famille pauvres et souvent venus de leur village pour tenter l’aventure en ville. Je suis de ceux-là, originaire du Mayo Danay, je suis arrivé ici alors que j’exerçais dans les motos taxi chez moi. Monsieur Martin m’a enseigné le travail et aujourd’hui je suis spécialisé dans la décoration du cercueil, donc l’habillage final. Avec ce métier je me suis marié, j’ai deux enfants que j’élève. La vie ici est intéressante car j’ai de nouveaux amis en somme une nouvelle famille. »
Le doyen des « patrons » Mbombog Batamack Timothée n’hésite pas à percer l’abcès : « Vous avez vu que nous sommes basés dans un marécage, à côté des rails. Pour ce site nous payons un loyer qui nous est imposé par un résident qui dit être propriétaire. En saison des pluies, c’est un véritable calvaire de travailler dans ce bas-fond, et puis pour le commerce, de nombreux clients hésitent à descendre ici pour acheter nos produits. Il y a heureusement certaines enseignes de pompes funèbres que vous voyez en ville, qui viennent se ravitailler chez nous. Ceci dit, nous formons des jeunes et contribuons ainsi à réduire la pauvreté et la délinquance juvénile. Nous savons que les pouvoirs publics s’intéressent à ce type d’activité, mais nous sommes surpris que malgré nos incessantes sollicitations, ni la commune, ni l’autorité administrative ne se penche sur notre cas. Ces jeunes devraient bénéficier d’un meilleur encadrement et nous pourrions reconvertir de nombreux autres. Il faut une volonté politique pour nous aider à mieux nous organiser et à prospérer.
Mbombog Batamack Timothée le « doyen » des patrons n’a pas sa langue dans la poche
Elig Edzoa est un quartier difficile, les enfants sont abandonnés à eux-mêmes et sont tentés par le banditisme. AU lieu de se conforter dans les formations à la citoyenneté, les responsables du ministère de la jeunesse et celles du développement participatif viennent toucher du doigt la réalité à laquelle le jeune est confronté. Qu’ensuite des appuis conséquents soient apportés pour des solutions concrètes en vue de l’amélioration des conditions de vie des populations. Un jeune qui trouve un emploi qui lui permet de gagner honnêtement sa vie, c’est une famille qui retrouve sa fierté et un pays qui gagne le pari de la lutte contre la pauvreté. »
Pierre Pochangou