Un jour nouveau s’est levé sur le continent africain. Le lundi 22 janvier 2018, une nouvelle page s’est ouverte avec la cérémonie de prise de fonction du président élu du Liberia, Georges Weah. De Monrovia à Cape town en passant par Bangui, Lubumbashi etc., l’onde de choc a touché les cœurs de la jeunesse africaine, qui se met à espérer. Au-delà du cliché de ce fils de père inconnu, devenu une star du football mondial, puis président de la république, il y a le combat d’un homme pour améliorer les conditions de vie des plus démunis…
Le cliché est passé en boucle dans tous les médias internationaux démontrant avec condescendance et sur un ton sentencieux, celui des défis à relever par le nouveau président du Liberia du fait de son manque de niveau académique et de son absence de références politiques. Voilà l’image que véhiculent les médias occidentaux, qui ont pré établis les critères de sélection des élus pour l’Afrique. Conditionnés par ces messages, les analystes du continent africain se laissent aller à prédire des échecs dans la mise en œuvre du programme politique de Weah, sous le fallacieux prétexte qu’il n’a pas fait des études supérieures, ce qui le prédispose à « ne rien comprendre à la politique ». Et pourtant !
Quand la sagesse surpasse l’accumulation des parchemins
Le parcours de Georges Weah suffit à lui seul de comprendre pourquoi les libériens lui ont fait confiance à travers les urnes. Un coup d’œil dans le rétroviseur nous ramène aux début des années soixante-dix, lorsque le jeune footballeur d’alors accepte de quitter son Liberia natal pour jouer dans le Tonnerre Kalara club de Yaoundé. Ce club est au sommet de sa gloire et sa réputation a traversé toutes frontières avec dans ses rangs le ballon d’or africain Roger Milla, aujourd’hui ambassadeur itinérant. Dans cette Afrique-là, on comptait sur les bouts des doigts, les sportifs qui quittaient d’un pays à un autre. Georges Weah est donc parmi les précurseurs de l’intégration africaine, prêt à apporter sa contribution dans des espaces qui ne sont pas ceux de sa naissance. Il accepte l’intégration à d’autres peuples, enrichissant ainsi sa connaissance de l’autre tout en créant de nouvelles relations. En quelques mois il conquiert le public camerounais et répond favorablement aux sollicitations des plus grands clubs européens. L’Europe dans son plan de développement ne lésine pas sur les moyens pour s’offrir toutes les pépites d’or du continent africain qui lui sert de grenier, dans tous les domaines. La preuve… Les meilleurs sportifs finissent par défendre les couleurs de leurs pays, alors même que la lutte contre l’immigration bat son plein et s’inscrit dans la logique du célèbre dicton : « on ne va pas accepter toute la misère du monde ». Balle au pied, le natif de Monrovia va s’élever jusqu’au sommet de l’échelle du football mondial, inscrivant son nom en lettres d’or au palmarès des Ballon d’or. Record jamais égalé à ce jour.
Lorsqu’il raccroche les godasses, la désormais star mondiale retourne dans son pays natal et engage un nouveau combat, celui de la lutte contre la pauvreté. Dans un pays déchiré par des décennies de guerre civile, puis par des épidémies à répétition, l’homme tronque son maillot de sportif pour le costard cravate du politicien. Par des actions concrètes, il s’implique. Construction d’écoles, de centres de santé etc. il met une bonne partie de sa fortune, gagnée à la sueur de son front sur les vertes pelouses, pour améliorer le quotidien de ses jeunes compatriotes. Dans ce combat il apprend vite et comprend que le meilleur moyen de réussir est d’occuper le poste de président de la république.
La troisième est la bonne.
Le Liberia faut-il le rappeler est le premier pays africain indépendant qui pourtant vient seulement de vivre sa première transition démocratique. Son nouveau président élu n’a pas fait d’un coup d’essai un coup de maître, loin s’en faut. Il en était à sa troisième tentative, ce qui signifie qu’il est parfaitement imprégné des réalités de son terroir, des contraintes et autres freins au développement, qui sont similaires à tous les pays du continent. Il n‘est donc pas un novice comme le prétendent certains médias, mais un homme de poigne qui a su tisser lentement sa toile. Il s’est entouré d’une équipe d’hommes et de femmes d’expérience comme l’épouse de l’ancien président Taylor qui est sa colistière et officie désormais comme vice-présidente du Liberia. Ses relations avec l’ancienne présidente Helen Johnson Sterlet controversée, prouve sa capacité à assumer tout l’héritage historique du Liberia, en travaillant avec des proches des régimes ayant mené la guerre civile. Voilà une preuve de sa maturité politique, à laquelle il faut ajouter sa participation aux prières avec les chrétiens et les musulmans, quelques jours avant sa prise de fonction.
Parce que le maçon se juge au pied du mur, la communauté internationale attend de voir comment Georges Weah va sortir son pays de la pauvreté. Que de charges sur de frêles épaules ! Il devra faire face à ce mal être des filles et fils du continent qui ne croient pas au développement, attendant tout de l’état, mais aussi aux maffieux à cols blancs tapis dans l’administration, experts en détournements de fonds publics qui sévissent sous le continent. Véritable gangrène, ils écument les plateaux de télévision, se soignent en Europe, mènent grand train de vie et accordent des permis d’exploitation des sols et sous-sols aux multinationales, pour ce qui est de la partie visible de l’iceberg. Sur le plan du continent, il faudra qu’il s’accoutume aux regards hagards des autres chefs d’états africains, qui l’ont admiré comme « garçon de la balle », avec lesquels il parlera désormais des stratégies pour sortir le continent noir de la misère. Eux qui n’ont jamais mis de leur argent pour aider leurs compatriotes, mais qui amassent des fortunes en ponctionnant les fonds publics, s’accommoderont mal de la présence dans leur sein, d’un milliardaire qui a fait fortune sur les terrains de football, a mis une partie de cette fortune pour subvenir aux besoins des plus pauvres. Enfin il devra affronter les ogres occidentaux, américains et chinois qui arpentent les couloirs des administrations en quête de marchés de dupes, où ils tirent tous les profits des richesses du sol et du sous-sol africain, qui vendent au prix fort les produits de leurs industries d’armement pour alimenter les guerres fratricides, plongeant l’Afrique dans le chaos, pendant qu’ils assurent le bien-être de leurs populations.
Vu sous cet angle, effectivement les obstacles sont nombreux pour Georges Weah. On ne pourra donc pas lui faire le procès de ses échecs car sa seule présence au poste de président de la république est le symbole de l’Afrique qui veut prendre son destin en main. Une autre Afrique se dessine et l’expérience fera sans doute tâche d’huile. La jeunesse africaine peut espérer changer la donne à travers les urnes, pour placer aux commandes des hommes et des femmes engagés, opérationnels, pragmatiques, et pas seulement des hommes et des femmes bardées de parchemins, sans véritable volonté politique de développement et d’amélioration des conditions de vie des populations.
Pierre Pochangou